Bien avant d’être enceinte, j’ai dû penser à une stratégie professionnelle pour pouvoir me permettre d'être ce que je suis : une mère au foyer. Et cela implique une réflexion autour des choix que j’ai dû faire dans mon travail.
Je suis foncièrement indépendante. C’est très important pour moi. C’est je crois inscris dans ce que je suis, dans ma matrice, c’est mon socle. Depuis que j’ai 8 ans je rêve de devenir journaliste de guerre en immersion dans le combat. Alors recevoir des ordres...
En étant une petite métisse issue des cités de France, le match n’était pas gagné d'avance pour couvrir la guerre pour TF1, mais j’avais dans l’idée qu’il me faudrait absolument avoir un diplôme de presse écrite pour pouvoir garder mon droit d’être jolie en restant crédible. C'était ça mon plan. Passer par la presse écrite pour gagner la zone de guerre avec un gloss.
Ce n’est pas facile pour une femme de garder le droit d’être une jolie fille parce que les jolies filles sont vite taxées de plein de choses. Et je ne voulais pas me priver de me sentir belle et désirable, ni de pouvoir rester crédible et potentiellement intéressante. Je voulais pouvoir être tout ce que je suis sans avoir à sacrifier une partie de moi, ni la part d’humour grivois, ni la part de douceur, ni mes fulgurances philosophiques, je ne voulais rien céder de ma personnalité.
J’ai donc choisi de passer par une école un peu atypique, qui me permettait d’apprendre mon métier de journaliste de presse, comme je le voulais en deux ans par alternance, sans formatage, chose unique à l'époque. Le rêve.
Comme je ne voulais pas être formater (obsession de niveau trouble obsessionnel compulsif) par une entreprise dans ma formation- ce qui pour moi est la pire chose qui peut arriver à un journaliste- j’ai décidé de faire le maximum de stages possible. Surtout en radio, mon médias préféré dans lequel je suis la plus à l’aise.
J’ai donc fait des stages dans absolument tous les médias de Bordeaux, en débordant sur le bassin d'Arcachon et les Landes… Je me suis formée d’une façon très spécifique et très ouverte aux maximum de médias différents et généralistes, autant que possible, pour être plus tard une journaliste de presse et radio indépendante et solide.
En 2005, alors qu’Internet se déployait, il y a eu un souci : Génération Précaire.
Les jeunes diplômés dénonçaient leurs conditions de travail et de vie. Le message était : ils ne nous paient plus et nous esclavagisent. Et le message qui venait des jeunes journalistes diplômés était pire encore : ils ne nous permettent plus de nous exprimer et nous licencient si nous n’appliquons pas leurs méthodes marketing. Les journaux papiers connaissaient une crise sans pareil. Ca sentait le sapin.
Le glas était sonné, la messe était dite, la presse était en train de mourir dans la forme qui nous avait fait l’aimer. Il fallait passer par d’autre chemin. Inventer de nouveau mode de communication, car sous nos yeux de jeunes apprentis journalistes se qui se jouait c'était l'avenir de notre métier de journaliste. Le vrai.
En 2006 j’ai eu mon diplôme de journaliste de presse écrite. Mon rêve. J’ai pleuré.
J’ai pleuré parce que je n’ai pas eu de mention et pire que ça, alors que j’étais l’élève la plus brillante de la classe, les professeurs m’avaient dit lors de la remise de mon diplôme que « malgrè le fait que l’on sentait bien que j’embrassais à bras le corps ce métier de journaliste » je ne le serais « jamais »… Que je serais « tout ce que (je) voudr(ais) être grâce à (mes) capacités, mais que je ne serais pas journaliste. »
Merci, bonne fin de journée, au revoir. Connards.
J’ai téléphoné à ma mère, en pleurs en lui disant dépitée que j’avais mon diplôme… Alors que c'était mon rêve d'enfant, que j'avais tant fait pour ça, elle m’a demandé pourquoi je n’étais pas contente, je lui ai répondu que je n’avais pas de mention alors que les autres filles de la classe en avaient eu et alors elle a eu cette réponse qui éclaire encore souvent ma vie et qui était : tu ne sais pas ce qu’elles ont fait pour l’avoir.
Après m’être rappelé la main de mon prof sur la mienne dans un café après qu’il se soit généreusement proposé de m’aider à choisir mon ordinateur et son invitation à dîner que j’avais refusé… J’ai été fière d’être celle qui n’avait pas de mention, effectivement.
J’avais donc appris que dans le métier, pour avancer, on couche, que les jeunes se font exploiter sans se faire payer, que ce métier à paillettes attirait bien des convoitises et que la déontologie et la défense de la vérité et la lutte pour l’information n’était pas les priorités des gens encartés.
Diplôme en poche. Il me fallait trouver et construire mon propre chemin.
Je suis donc retourné vers mes premiers amours, la radio locale. Je me suis faite embaucher par France Bleu Gironde, mais à l’animation, pas à la rédaction. Je n’ai jamais pu ne serait ce que m’imaginer en train de travailler à la rédaction de Radio France. Pour moi c’est l’équivalent de mourir. Aucune créativité, un ton morose, une hiérarchisation de l’information impossible à faire pour moi qui ne hiérarchise pas la société comme les autres et peux donner plus d’importance à un fait divers qu’à un fait politique… Mon choix était fait. J’avais 26 ans. Après quelques mises au point pour me canaliser, je m'épanouissais comme une fleur dans cette radio.
Mon idée, voir mon plan, était de faire connaître mon nom avant de pouvoir me retirer pour faire un bébé à 28 ans. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien du tout. J’ai toujours voulu avoir un bébé à 28 ans…
J’avais donc deux ans pour me faire un petit nom comme on dit, par mon travail.
J’ai alors postulé rapidement pour travailler chez Sud-Ouest, mais en tant que correspondante de presse. Encore une fois, d'une façon atypique, parce que cela me donnait une grande liberté de ton et une indépendance sans pareil dans le métier. Pendant un an et demie, j’ai eu une page entière dans Sud-Ouest sans aucun contrôle au dessus de moi autre que celui du secrétaire de rédaction pour corriger mes fautes. On ne m'a jamais interdit un papier et on ne m'a jamais demandé d'en écrire. Je ne crois pas m’être autant amusé dans un travail que dans celui là. Je gérais un quartier très intéressant, entre prostituées, boîtes de nuit et petites gens, vie associative et grand projet urbain, j’étais comme un poisson dans l’eau.
28 ans a annoncé la naissance de ma première fille au Maroc et j’ai pu comme je le voulais me retirer du métier pour pouponner mon bébé.
Très rapidement de nouveau choix se sont imposés à moi… Un temps le père de mes filles voulait que je postule en tant que responsable de la communication du groupe de médias pour lequel il travaillait. La place était accessible et on s'est posé la question pendant quelques jours... On était habitué à travailler ensemble et à être collés toutes les journées et c’est vrai que c’était étrange pour nous de se retrouver séparés dans la journée, lui au travail dehors et moi au travail dans la maison avec notre bébé.
Je n’ai pas pu m’imaginer en train de confier mon enfant à quelqu’un. Nous avons longuement discuté et décidé que je n'irais plus travailler à l'extérieur pour quelques temps pour faire grandir notre enfant. J’ai donc dû réfléchir à créer un modèle professionnel sur mesure pour moi, pour ma maison et pour éduquer mes enfants à venir. A la base je voulais accoucher d'un enfant par an… Je ne comptais pas m’arrêter d’enfanter donc il fallait que je construise un travail capable d’accueillir mes enfants et mes désirs tout en me permettant de m'occuper du père de mes enfants pour qu'il évolue dans son travail qui nous nourrissait.
C’est ainsi qu'en 2008 j’ai commencé à crée www.maman.ma : le premier site d’information sur la maternité pour les mères du Maroc. Le 7 juin 2009 le site était lancé.
Dès le départ, il y a 10 ans, Maman.ma, devenu Carolehofbauer.com était construit comme il est aujourd’hui. Même s'il lui manque encore des ramifications qui sont prévues dans le cahier des charges -comme la Mom Radio qui me manque beaucoup- petit à petit j'arrive à atteindre mes objectifs…
Mon idée était de créer le premier site d’information entièrement indépendant parce qu’économiquement autonome : un site d’information qui n’a pas à trembler devant les lobbys, ni les annonceurs parce qu’il n’en dépend pas grâce à la boutique en ligne qui s’adresse au publique qu’il vise. Un site d'information qui génère son propre argent sans avoir à vendre son information et donc à trahir son indépendance.
Aucun modèle de média existant ne propose ce que mon site propose : une information objective totale puisqu’avec une subjectivité assumée et explicite qui permet de faire le tri et de se faire son propre point de vue. C’est parce que je suis honnête sur ma subjectivité que les internautes qui me lisent peuvent tirer des conclusions objectives en dégageant les données qui me composent pour n’en garder que les faits que j’expose. Parce que j'affûte mon personnage avec beaucoup d'honnêteté pour qu'on puisse l'identifier rapidement, le sortir et se dégager de son point de vue pour ne garder que l'information. Tout ce qui m'importe, c'est le partage d'information. Je suis obsédée par ça même...
Mon regard n’est jamais anodin, il dit quelque chose d’une façon de se placer au monde pour le contredire et pouvoir s’y adapter.
Tout cela, c’est du travail. Le ton que j’utilise dans un article ou dans un autre, le niveau de langage que je préfère à un autre dans une thématique plutôt qu’une autre, les gens à qui je choisis de continuer à parler, tout est un travail qui donne une information…
Un travail que je mets en place perpétuellement pour me permettre d’avancer avec mes enfants en faisant évoluer à la fois mes filles et ma carrière sans avoir à privilégier les unes ou l’autre.
La boutique que j’ai ouvert en 2012 participe de la même réflexion.
J’avais besoin de mettre en pratique mes idées tout en élevant mes enfants. J’avais besoin de confronter les idées merdiques de « conciliation vie pro/vie perso » de la bande à schiappa -qui aujourd’hui, 6 ans plus tard ont conduit à une vague de burn-out maternels sans précédent- avec mon expérience d’éducation à l’africaine dans laquelle on travaille avec les enfants dans les jambes et on ne lâche rien… Je voulais travailler avec mes enfants dans mes jambes. Et je ne lâche rien. Pour moi, s'occuper de ses enfants n'est pas un choix.
Je ne regrette pas de ne pas m’être donné ce choix en écoutant des sirènes vicieuses et dépravées cachées derrière des chevaux de Troie pour faire avancer une idéologie nazi. Cela a été la décision la plus intelligente de ma vie.
Aujourd’hui je souhaite continuer à m’occuper de mes enfants de mon mieux, en bonne mère de famille, continuer à développer mon site d’information autour de la maternité et de l’enfance avec ce personnage de « Carole Hofbauer » que j’ai crée d'après moi même avec tant de passion et de joie, tout en continuant à développer ma marque de vêtements et accessoires en écrivant mes livres.
J’ai trouvé un équilibre malgrè la précarité que l'on m'oblige à traverser en me privant de mes droits élèmentaires. Je crois que le fait de faire le métier qu’on aime, qui nous construit et ne nous donne jamais l’impression de travailler, mais nous donne simplement la joie de vivre, alors on peut dire qu’on réussit sa vie... Je crois.
Même si elle ne ressemble pas à l’image de la réussite qui nous est donné en objectif : la séparation d’avec les enfants, la débauche, la surconsommation, la compétition excessive, les antidépresseurs, l'alcool, la drogue et la dépression chic…
Le métier de mère au foyer se gagne. Il ne s’agit pas seulement d’accoucher et de rester à la maison en profitant du salaire de son mari. Il s’agit de réfléchir, profondément à ce à quoi nous aspirons en tant qu'être humain, ce que nous souhaitons donner à nos enfants, à la multitude et ce que nous souhaitons laisser de nous après notre passage sur terre.
Et tout cela en prenant en compte l’environnement extérieur.
Bon courage.