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Souvent je me demande pourquoi les violeurs n'ont pas de visage, ni de nom, ni de prénom. Ils sont anonyme caché derrière un mot : le violeur. Les victimes elles ont souvent un prénom, un nom, une famille qui témoigne, une histoire de vie brisée, un visage... Mais les violeurs, non. Alors en tant que fille, en tant que femme, en tant que mère, je suis très fière d'écrire le premier article qui donne un nom, un prénom et un visage à un violeur multi-récidiviste en liberté, contre qui j'ai porté plainte, il y a déjà 13 ans...

Quand j'avais douze ans, j'étais déjà une enfant à part. Je jouais toute seule. Je lisais tout le temps. Je créais des mondes imaginaires dans ma chambre avec ce que je trouvais dans la poubelle. J'écrivais un journal et j'écoutais beaucoup de musique, du classique, du reggae, les standards camerounais de ma mère, la radio.

Je vivais avec ma mère et mes deux frères à Lormont, dans une cité HLM qui n'avait été pensé que dans le but assumé de parquer les gens, souvent étrangers, mais pas seulement, dans des zones où rien n'était mis à leur disposition pour s'émanciper par le travail. Pas de magasin possible au pied des immeubles, pas de lieu de vie possible, des barres et des barres d'immeubles alignés sur des kilomètres. Tous les locataires partageant le pain et la précarité du premier jour du mois jusqu'au dernier.

Comme beaucoup des petites filles des cités, j'ai grandit derrière ma fenêtre. J'avais un régime particulier par rapport à mes deux frères. Je n'avais pas accès au dehors de la même façon. Ma zone d'exploration et de jeu se limitait à en bas de la maison. Quand mes frères pouvaient aller jouer au terrain de basket qui se trouvait à 10 minutes à pieds, moi je devais rester en bas de la maison si ce n'était pas pour aller à l'école, à la danse ou au théâtre.

Je jouais donc de temps en temps, en bas de la maison à côté des autres enfants et des résidents qui prenait l'air. Un jour j'ai crevé la roue de mon vélo. David de Rozière, qui avait l'habitude de regarder les enfants jouer en bas de la maison et que donc je connaissais de vue est venue me voir pour me proposer de réparer mon vélo. Il m'a demandé de venir avec lui chez lui pour chercher une pompe. Et il m'a amené chez lui.

Une fois chez lui, il a fermé la porte à double tour, m'a amené dans sa chambre, m'a posé sur son lit et m'a violé. J'avais 12 ans je crois... Oui, "je crois" parce que le choc a été tel que j'ai parfois la mémoire qui flanche autour de l'évènement. J'ai appris plus tard que ça arrive souvent aux victimes de viol. Moi je croyais que j'étais juste folle.

Après m'avoir violé, David m'a fait la leçon en s'érigeant dorénavant comme mon défenseur... Je devais venir lui dire si quelqu'un me faisait du mal... Pour pouvoir m'enfuir, j'ai accepté, j'ai composé avec sa folie pour arriver à lui faire ouvrir la porte et je me suis enfuie en courant.

Arrivée chez moi, la première chose que j'ai fait, c'est me laver à l'eau bouillante en m'arrachant la peau en me frottant. Je n'ai pas pleuré. Je suis allée dans le salon regarder le foot avec mon petit frère en me disant que si je lui racontais ça, j'allais le traumatiser. Ensuite je me suis dis que nous avions déjà assez de problèmes pour que j'en rajoute à ma mère et puis j'ai enfouie tout ça aussi loin que je pouvais en me disant toujours que si je me forçais à oublier, j'oublierais.

On n'oublie jamais la peur. On n'oublie jamais l'humiliation. On n'oublie jamais les gestes, la violence, les odeurs, les bruits...

Jusqu'à aujourd'hui, quand quelqu'un respire dans mon oreille, comme il le faisait pendant qu'il me violait, j'ai des envies de meurtres qui remontent, même si la respiration vient de mon enfant, je dois immédiatement y mettre fin.

J'ai mis beaucoup de temps à comprendre ce que j'avais subi et à poser le mot de viol dessus... J'ai mis beaucoup de temps à trouver le courage d'en parler et la première fois que je l'ai fait, c'était en fac de droit, avec mon amie Amélie. Je lui ai expliqué que je ne savais pas le nom de la personne qui m'avait fait ça, mais que je connaissais son adresse. Amélie a eu le courage et la gentillesse d'accepter d'aller taper à la porte où ce drame s'était passé pour voir si c'était toujours la même personne ou essayer d'avoir sa nouvelle adresse pour porter plainte. Je crois qu'elle a eu la peur de sa vie et son courage et son amitié sont la première pierre qui m'a permis de me dire, qu'effectivement, alors, ce qu'il m'avait fait n'était pas normal et qu'il fallait vraiment porté plainte. Alors j'ai réuni encore plus de courage et j'en ai parlé à mon père. Nous sommes allées ensemble au commissariat de Bordeaux pour porté plainte pour viol.

C'était ma première rencontre avec les interrogatoires de plainte pour viol et en vérité, je pense que ça a été aussi terrible que le viol lui même. J'ai été traité pire que de la merde. Ma parole a été remise en doute avec une violence sans nom, toutes mes allégations ont été balayé d'un revers de main, mais la plainte a été posé, contre X avec tous les élèments dont je disposais, dont l'adresse. Il parait que les policiers disent qu'ils sont obligés d'être d'être crevure avec les victimes pour être sûre qu'elles ne mentent pas. Moi je veux bien, si après il y a des vraies enquêtes, des vraies confrontations, des vraies jugements et des vraies condamnations, soyez des crevures sans problèmes, vous avez mon soutien même !

J'avais 23 ans.

Il ne s'est strictement rien passé. Jamais.

Je croisais fréquemment David de Rozière dehors... Il me narguait. Me provoquait. Je ne pouvais rien faire. Il me tétanisait. J'ai vécu des années avec la peur qu'il me retrouve et me tue. Qu'il me suive chez moi et me viol à nouveau, puis quand j'ai eu des enfants, c'est devenu pire encore. Je prenais le tramway avec lui en face de moi et mes bébés à côté de moi... Il souriait. En face de moi.

Je ne pouvais pas téléphoner à la police, parce que mes filles étaient trop petites pour que je les traumatise avec une arrestation en direct et toute la procédure qui allait suivre allait se rajouter à ma procédure de demande de garde, ça faisait trop pour moi, j'en étais tout simplement incapable.

A travers toute ces années de vie avec lui j'ai pu en apprendre plus par lui même sur son histoire. Oui, il se confie à moi quand je le confronte à ses actes. 24 ans à me traumatiser, ça crée un lien. Ainsi il m'a déjà appris qu'il est franco-marocain, né d'un père français et d'une mère marocaine. Il a été battu et maltraité. Son équilibre émotionnel est toujours très stable, parce que je pense qu'il est débile léger. Ce qui n'enlève rien à sa dangerosité. Cet homme en liberté est dangereux pour les enfants encore aujourd'hui et le fait qu'il ne reçoive aucun traitement ou aucune prise en charge psychologique est révélateur de la culture de la violence dans laquelle on plonge les plus faibles chaque jour sans aucun moyen de s'en sortir, ni pour les coupables, ni pour les victimes...

Un jour, pendant que je rentrais chez moi, je l'ai vu. Alors j'ai dû intervenir, parce que c'était trop prés, il se rapprochait trop, on était devant chez moi, j'ai téléphoné à la police et c'est moi qui l'ai suivi en les gardant au téléphone pour indiquer constamment aux policiers la direction à suivre. Ma fille était dans sa poussette, ma plus grande qui devait avoir 4 ou 5 ans marchait à mes côtés...

David de Rozière a été arrêté ce jour là.

J'ai déposé mes enfants chez ma mère et je suis allée au commissariat pour porter plainte. Entre temps, la vue de ses mains avait provoqué des résurgences dans ma mémoire. Je voyais ses tatouages sur les mains, je les voyais se dirigeaient vers moi, aller dans ma bouche et s'insérer dans mon vagin, je le voyais s'écraser sur mon corps et se frotter à moi, je voyais sa maison, sa chambre, ses chats. Je voyais mon viol.

Les policiers n'ont trouvé strictement aucune trace de la plainte que j'avais déposé avec mon père à 23 ans. J'ai donc porté plainte pour viol contre David de Rozière, pédophile multirécidiviste qui a déjà été condamné pour des faits exactement similaires, à la même époque que mon affaire.

Combien sommes nous avoir porté plainte contre David de Rozière ? Je ne sais pas...

Ce que je sais, c'est que la semaine dernière j'ai eu encore l'occasion de discuter avec lui. C'est à cette occasion qu'il m'a autorisé à prendre cette photo que l'émotion et ma main qui tremble de rage n'ont pas réussi à prendre correctement.

Pourquoi David de Rozière m'a t-il autorisé à prendre cette photo ? Parce qu'il sait très bien qu'il ne se passera rien, comme c'est le cas depuis 24 ans. Avant de descendre à son arrêt de tramway il m'a lancé "Les flics m'ont dit que tu étais zinzin, t'es pas normal toi ! Ils l'ont dit les flics ! Si tu veux me voir, tiens, j'habite là, tu vois, juste là, viens !" Et il est descendu sur l'avenue Thiers.

Je n'ai pas regardé le nom de l'arrêt...

J'aurais beaucoup aimé vous donner des chiffres officiels sur l'état des viols en France, mais quand on voit sa propre plainte "disparaitre" des registres de l'état... Comprenez que moi et les chiffres sur le viol...

(Pour l'instant, je vais laisser les fautes d'orthographe et ne pas me relire, parce qu'il m'a déjà fallut beaucoup de courage pour arriver jusqu'à vous et vous écrire. Quand je serais plus forte, je remettrais tout en forme.)


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