Un article qui reflète bien Derb Omar et écrit comme j'aime
â¢Lâancien quartier commerçant de Casablanca en pleine mutation
Lifting en vue de Derb Omar
Mouna Izddine
Derb Omar, Casablanca. Mettre un terme aux anachronismes.
Ce samedi de juillet, comme à lâaccoutumée, lâeffervescence est à son comble à Derb Omar, en plein centre-ville de Casablanca. Le brouhaha est difficilement soutenable entre les klaxons des voitures, les cris des charretiers, les interpellations des vendeurs ambulants vantant leurs produits et les marchandages à voix haute des clients avec les commerçants patentés.
Pourtant, dans ce joyeux souk, reflet dâun commerce traditionaliste, tout le monde semble sâentendre. Et se retrouver. Des chalands aux revendeurs, grossistes et détaillants, en passant par les intermédiaires et les petites mains employées au noir. Des hommes dans la vingtaine, jeans sales et marcels blancs, déchargent un camion stationné devant un vendeur de fruits secs au gros.
Un jeune apprenti dispose de nouveaux ustensiles de cuisine sur les étals du magasin où il travaille tandis quâune jeune mariée venue depuis Meknès trouver des rideaux pour son salon marocain sâarrête à chaque devanture dans lâespoir de dénicher le tissu rare au meilleur prix. A quelques pas dâelle, une grand-mère tente en vain de faire cesser les sanglots de son petit-fils, boudant après quâon ne lâait pas laissé emporter lâarmée de petits soldats de plomb prussiens âmade in Chinaâ vendus dans une échoppe à côté. Une lycéenne tétounaise, venue en vacances chez sa tante à Casablanca, touche, comme pour sâassurer de leur authenticité, les biscuits, le chocolat, le fromage edam et la charcuterie espagnole quâelle a lâhabitude de prendre chez elle au petit-déjeuner.
Ici, en effet, la foule est tout aussi bigarrée que la marchandise proposée. Avec, toujours, du côté des commerçants, des spécialités quasi-caricaturales: les tissus et lâameublement pour les Fassis, le prêt-Ã -porter, lâélectroménager et les produits alimentaires pour les Soussis. De grandes fortunes se sont faites ici. De la petite bourgeoisie musulmane et, dans une moindre mesure, juive, originaire de Fès, artisans et négociants modestes, aux anciens villageois berbères venus du Sud du Royaume se faire une place au soleil dans la tentaculaire métropole, avec pour seul capital un maigre pécule mais un sens aigu des affaires.
Pécule
Au fil des ans, âle Sentier de Casaâ, comme le surnomment certains en référence au quartier homonyme de la capitale française, sâest transformé en un haut lieu du commerce citadin, générant des millions de dirhams au quotidien, avec son mode dâapprovisionnement et de fonctionnement propre, ses codes tacites et ses grands noms.
Jusquâà abriter, au dernier recensement, quelque 2.300 boutiques et créer, pour la seule année écoulée, près de 7.700 nouveaux emplois. Et les vétérans de Derb Omar racontent encore à ce jour aux nouveaux venus, comme ils lâont entendu eux-mêmes de leurs aïeux, lâhistoire de ce vendeur de tissus venus dans les années 1830 de la cité idrisside pour ouvrir la première échoppe à Derb Omar. Une véritable légende urbaine
Aujourdâhui, plus de 170 ans après sa naissance, ce poumon névralgique de la métropole économique, considéré même par certains comme le centre commercial le plus important de tout le Maroc, a perdu de sa superbe et dâaucuns sâinquiètent même pour son devenir. Beaucoup de commerçants ont en effet déménagé dans dâautres quartiers moins populaires, pour se rapprocher davantage de leur clientèle âhaut de gammeâ, au Maârif, et plus récemment, à Anfa, au très huppé âTriangle dâOrâ et ses environs. Ils ont ainsi suivi le déplacement inexorable du cœur de Casablanca et son éclatement en plusieurs centres, entamé depuis la fin des années 80.
Eclatement
Mais cette donne
urbanistique nâest pas la seule raison à lâorigine de lâapathie de Derb Omar. Dâautres menaces pèsent sur ce centre commercial séculaire.
Le quartier a réussi progressivement à contrecarrer et composer avec la compétition féroce et polyvalente des Chinois, venus sâinstaller par dizaines parmi eux à lâaube des années 2000. A la concurrence par les prix, très bas par ailleurs, les commerçants marocains de Derb Omar ont répondu par la solidarité, refusant de céder dâautres locaux aux vendeurs asiatiques, et arguant devant leur clientèle de la qualité de leurs produits et les facilités de paiement accordées par nombre dâentre eux, contrairement à leurs rivaux étrangers en affaires.
Et câest probablement ces mêmes âavantages de proximitéâ, que dâaucuns voient également comme lâarme la plus redoutable du commerce traditionnel face au système de distribution moderne, qui risquent de porter préjudice à lâavenir du quartier.
En 2008, en effet, à Derb Omar, entre fournisseurs, grossistes et clients, prime encore une gestion des affaires à lâancienne: réputation et engagement verbal contre chèque ou effet de commerce. Ou encore prédominance des liens de famille et du ârégionalismeâ dans le négoce et le recrutement de personnel. Autant de coutumes qui ont mis à mal certains commerçants qui se sont retrouvés sur le tapis, faute de preuves écrites à présenter devant la justice pour leur défense en cas de pépin.
Ajouté à cela une grande part dâombre et dâinformel dans les échanges, mais aussi la rémunération des employés, rarement déclarés et payés plus que le SMIG. Autant de pratiques qui amputent sensiblement les caisses de lâEtat et de ses institutions, des impôts à la sécurité sociale en passant par toutes sortes de taxes urbaines, commerciales et de cotisations diverses.
Coutumes
Mais, aujourdâhui, les autorités semblent plus que jamais déterminées à mettre un terme à ces anachronismes incohérents avec la vision du Casablanca moderne du troisième millénaire, tout en préservant ce quartier source de revenu de milliers de familles de la métropole et des quatre coins du pays, et source dâapprovisionnement centrale pour la cité blanche.
Câest ainsi quâa été signée, le mardi 22 juillet 2008, dans le cadre du plan Rawaj vision 2020, une convention-cadre entre le ministre de lâIndustrie, du Commerce et des Nouvelles technologies, Ahmed Réda Chami, la Wilaya de la région du Grand Casablanca, lâAgence urbaine de la métropole, le Conseil de la région, la Commune urbaine et la Chambre de commerce, pour la restructuration, la modernisation et la requalification prioritaire des commerces de proximité de la métropole. Parmi lesquels Derb Omar, Derb Ghallef, Souk Korea ou encore Prince Moulay Abdellah.
Objectif
Et, le moins que lâon puisse dire, câest que le gouvernement ne lésinera pas sur les moyens. Une dotation de 100 millions de dirhams a dâores et déjà été débloquée au titre de lâannée 2008 par le Fonds de développement du secteur du commerce et de la distribution, alors quâune autre dotation de 200 millions de dhs devrait lâêtre sur la période 2009/2012. A terme, les autorités ambitionnent, via ces mises à niveau, de hisser la contribution du commerce et de la distribution au PIB national à 15% à lâhorizon 2020, tout en générant plus de 450.000 emplois. Avec, en filigrane, un objectif final: vendre Casablanca en tant que destination majeure de shopping et de loisirs, auprès des Marocains comme des touristes étrangers. Il est fort à parier que cette fois-ci, les Chinois seront accueillis à bras ouverts.
www.maroc-hebdo.press.ma/Site-Maroc-hebd...tml_803/lifting.html